Quand les Etrusques reprennent vie

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Le musée Maillol présente une très belle exposition sur le quotidien des Etrusques, l’une des grandes civilisations méditerranéennes à s’être ouverte sur le monde. Jusqu’au 9 février 2014.

Un peuple de tombes, mystérieux et méconnu. Longtemps, l’image des Etrusques a pâti des nombreuses découvertes archéologiques du XIXe siècle, liées à ses pratiques funéraires. Le musée Maillol s’attache aujourd’hui à en montrer le vivant. Les aspects du quotidien de cette civilisation au sein de laquelle marins aventureux et marchands ingénieux ont joué un rôle primordial dans le commerce et les échanges du monde méditerranéen, entre la Phénicie, Carthage, la Grèce et la Gaule. 250 œuvres, dont plusieurs rares, incarnent l’histoire des cités précieuses qui se sont développées entre le IXe et le Ier siècle av. J.-C., sur un territoire correspondant de nos jours à la Toscane. A travers un parcours chrono-thématique très pédagogique, l’exposition « Etrusques, un hymne à la vie » revient sur les rites religieux, l’architecture de l’habitat, l’artisanat, l’écriture, les banquets, les plaisirs sexuels, les pratiques sportives, et l’influence des peuples voisins sur les us et coutumes.

Des cités opulentes

Constituée en dodécopole, l’Etrurie était une organisation fédérale. Elle rassemblait les douze cités les plus puissantes, chacune possédant un territoire à la politique autonome. Au long de l’exposition, les œuvres présentées avec sobriété, ainsi que des pavés explicatifs en dévoilent les particularités.

Cerveteri, Tarquinia, Populonia, Vulci, Spina… Les cités étrusques tiraient principalement leur richesse de leurs gisements miniers – cuivre et étain dans la région de Campiglia, les mines de fer de l’Île d’Elbe. Au VIIe et VIe siècle av. J.-C., elles se tournent vers la mer Thyrrénienne. L’Etrurie contrôle alors un littoral ponctué de comptoirs, les emporia, s’étendant de la ville d’Antibes au nord jusqu’à l’embouchure du Tibre au sud.

Commerce et relations se développent, notamment avec les phéniciens et les colonies grecques du sud de l’Italie et de la Sicile. Les Etrusques en deviennent à la fois les émules et les rivaux. Vin, produits exotiques, biens de luxe affluent en échange de céréales, bronzes, peaux, sel, ambre brut et, à partir du Ve siècle av. J.-C., contre un certain poids de bronze. Seul Populonia – et peut-être Vulci – se sert de monnaie pour régler ses transactions commerciales. Le musée Maillol expose quelques pièces d’argent marquées de tête de gorgone. L’espace recèle surtout de petits objets, ustensiles et bijoux importés des contrées voisines : des pendentifs en forme de scarabée avec monture de type phénicien dont le symbole initial de Râ, dieu du soleil levant en Egypte est employé en Etrurie comme amulette chargée de valeurs magiques et religieuse ; un flabellum (650-630 av. JC), sorte d’éventail en bronze ; une lampe à deux becs de fabrication phénicienne en impasto beige (660-650 av. J.-C.), l’un des rares exemplaires mis au jour en Etrurie.

Au moment de la période orientalisante (720 av. J.-C.-580 av. J.-C.), artisans grecs et phéniciens émigrent. Ils participent à l’introduction de l’écriture et de la technique des murs à piliers qui bouleversent l’architecture de l’habitat. Ils investissent les ateliers d’artisanat de céramiques, bronzes et d’orfèvrerie. Vases et amphores inondent le marché local. De brillantes productions se développent : Paire de boucles d’oreilles, fibules a sanguisuga sont les témoins directs du travail des ateliers de Vetulonia et de la technique « grènetis », minuscule granulation. Un oenochée en ivoire, œuf d’autruche et petites plaques d’or de type phénicien, issu des ateliers de Vulci, ou encore la vaisselle au bucchero, terre cuite noire polie, conçue à Tarquinia sont autant d’exemples du savoir-faire de l’Etrurie inspirée. Dans l’exposition, les vases cinéraires anthropomorphes de Chiusi offrent également à la vue du visiteur quelques exemplaires fascinants.

De Chiusi, le musée montre également la sculpture cinéraire dite du Bottarone (IVe siècle av. J.-C.). Le marbre alabastrin remplace alors la pietra fetida, pierre calcaire typique de la région qui doit son nom à la mauvaise odeur qui en émane lorsqu’elle est travaillée. Formée d’un couvercle et d’une cuve, cette sépulture double représente pour la première fois une femme assise au pied du défunt allongé à l’occasion d’un banquet, le bras droit posé sur les épaules de son épouse. La femme figure le geste de l’anakalypsis, qui consiste à dévoiler son visage, symbole du mariage.

Fastes scandaleux du banquet

Plaques de revêtement architectural, urnes cinéraires, peintures de la tombe du navire de Tarquinia reconstituée… Le banquet est un des thèmes principaux de l’iconographie étrusque des VIe et Ve siècle av. J.-C. Cette coutume du monde grec devient un moment centrale dans la vie des riches Etrusques. La table est dressée deux fois par jour avec profusion de vaisselles d’argent, couvre-lits brodés, esclaves. Allongés sur des klinai, sorte de lits, les convives se nourrissent de céréales (blé, épeautre, orge), légumes (petit pois, pois chiches, fèves), complétés par du vin, de l’huile, des fromages et des viandes de mouton et de porc. Une fois le repas terminé, on passe à la seconde partie du banquet : le symposion. On boit, joue, converse, chante tandis que se produisent danseurs, mimes et joueurs de flûte (aulos). De l’encens est aussi brûlé en l’honneur des Dieux. Les réunions se terminent souvent par des étreintes amoureuses. L’exposition dévoile quelques pélikè et coupe attique aux dessins explicites.

Les commentateurs de l’époque ont fait état du climat de luxe effréné, presque orgiaque, qui doit aux Etrusques cette réputation de peuple aux mœurs licencieuses. Le rôle actif de la femme aristocratique dans la société, à la différence des grecs et des romains, choque alors profondément les esprits. Leur caractère dévergondé et exhibitionniste aussi. Lors de ces réunions, les femmes sont en effet mises en commun. Elles se présentent nues et s’assoient à côté de qui leur plaît.

A partir du Ve siècle av. J.-C., crise et tensions sociales ont raison de ces heures de richesses et de fastes. La défaite face aux Syracusains et, en Etrurie méridionale côtière, l’opposition intransigeante de l’aristocratie à l’ascension sociale des classes laborieuses moyennes et basses fragilisent le dodécopole où il fait bon vivre. Cela n’ira que de mal en pis avec la conquête romaine. En 396, Véies, la cité la plus puissante d’Etrurie et « la grande ennemie de Rome », capitule. Définitivement intégrée à l’Etat romain en 90 ap. J.-C. après dix siècles d’existence, cette civilisation marque profondément la péninsule. Au point que, à la Renaissance, Côme Ier de Médicis s’en déclarera le descendant pour asseoir sa légitimité politique à Florence. Dès lors, les splendeurs de l’Etrurie antique sont destinées à ne jamais mourir.

Article publié sur Hérodote.net